❝Un livre ouvert c’est aussi la nuit. Je ne sais pas pourquoi, ces mots que je viens de dire me font pleurer.❞ - Marguerite Duras
L’écrivain n’a pas de maison. Il habite les lieux où il est lu. Ainsi, Steinbeck a habité la chambre de mon frère, entre le garage et le jardin, face au grand pacanier de ma verte jeunesse. Faulkner, l’unique pièce sombre et fraîche en pierre bleue de ma grand-mère. Cronin, une cave de maison de pêcheur, qui avait pour toit la mer dans laquelle des enfants, sur des chambres à air, bravant les vagues et les rochers, admiraient avec des yeux gourmands l'autre rive emportée par le courant. Les sœurs Brontë, se cachaient dans le casier de ma table de Lycée, où je suivais mes cours les yeux baissés. Camus, Kafka et Sartre, une petite chambre absurde d’une cité universitaire absurde dans une ville absurde. Mary Webb, une voiture roulant un jour gris vers l’inconnu . Agatha Christie, les toilettes de chez-nous, seul lieu de solitude dans une maison grouillante de bruit et d’ennui. Soljenitsyne, une régie de son, avec beaucoup de musique pour pouvoir l’avaler.
Et puis, il y eut Marguerite …
Duras l’impossible, a choisi mon exil pour maison. Je l’ai toujours évitée ailleurs mais elle m’a vite retrouvée ici, dans l’immensité blanche. Je n’ai fait que reculer l’inéluctable. Car Duras ne se lit pas jeune, ne se lit pas dans le bonheur, surtout pas l’été, surtout pas le jour. Duras habite les ténèbres de nos âmes de femmes. Elle court le long des lits de nos rides en devenir. Dans le plissement de la peau du ventre vide qui ne danse plus.
Duras s’installe définitivement entre les ruines de nos amours bus jusqu’à l’ivresse, jusqu’à la lie et dont on gardera à jamais l’amertume dans nos veines.
Quand je suis seule avec elle, j’ai peur de moi. Alors, j’en invite d’autres, au hasard. Mais rien à faire, Duras a pris toute la place.
J’ai quitté ceux que j’ai lus quand j’ai quitté leurs lieux. Mais Duras, comme une mauvaise herbe, m’a envahie. J’aurais beau l’arracher, elle repoussera. Je le sais, je la sens. Elle a pris racine en moi, elle m’habite désormais et je n’écrirai plus jamais comme avant elle.
Désormais, ses mots-lierres s’accrocheront aux miens...
Comments