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Photo du rédacteurAssia land

les dimanches à la guerre...

... Les journées loin d’Yves passaient monotones et insipides. Le matin, il était à son école et le soir à son écriture dans la solitude opaque de sa chambre de bonne. Il était devenu distrait et taciturne, presque distant. Je n’osai lui en demander la cause, j’avais si peur que ce soit moi ou pire que ce ne fut plus moi. Je le laissais alors en paix et moi en manque. Son absence se sentait partout, comme un parfum distillé par je ne sais quel immense flacon laissé ouvert dans le ciel. son parfun était partout, entre les draps de mon lit, dans les vapeurs de mon café, dans la brise du soir et le murmure de la ville endormie. Mais c’était sur mon cou qu’elle était plus forte.


photographie @ Gérald Bloncourt, 1956

Mes mains sentaient ses cheveux, ma bouche avait le goût de son tabac et à mon cou pendaient ses frissons. Dans la pénombre de mes nuits blanches, je me surprenais à compter de mémoire les éphélides sur ce dos qui fut l’unique ciel de mes nuits.

Entourée de son spectre, je me trainais dans l'espace, espérant nos dimanches. Je prenais soin de mon corps et de mes cheveux, je partais chaque jeudi au hammam me faire récurer la peau et huiler mes cheveux. Le lundi, j’avais ma tenue du dimanche déjà prête. J’usai de génie pour gaspiller ce temps inutile qui filait grain après grain dans le Grand Sablier.

Les nuits s’étiraient à l’infini et à la première lueur de l’aube, je sautais du lit pour balayer au loin les heures plus clémentes du jour.

Les samedis, mon impatience atteignait des sommets. Je bouillonnais, je ne pouvais tenir en place ce qui énervait petite maman. Toute absorbée par son ouvrage, elle lançait vers moi des regards soupçonneux et agacés alors je prenais un livre et faisais semblait de lire. Quelques fois, Lili venait et on faisait des choses ensemble. On sortait en ville faire les vitrines des magasins sur la rue d’Isly, on prenait des glaces chez Marlon en se déhanchant comme les européennes et ça déclenchait en nous des fous rires. Les garçons sifflaient sur notre passage et quand Lili souriait en retour, y en avait toujours un qui se mettait à nous suivre et si on le laissait faire, il faisait signe à son copain de nous rejoindre. Ils nous invitaient au cinéma ou sur une terrasse. Je me laissais alors trainer par Lili.


photographie @ algéroises, années 50.

Ces garçons m’indifféraient mais je ne voulais pas rentrer à la maison retrouver le bruit infernal de la machine à coudre de maman qui rendait mon ennui insupportable. Dehors, le temps s’écoulait joyeux et léger dans les rues baignées de ce soleil que je retrouverais le lendemain sur la peau claire de mon amour.

Lili rentrait rarement seule les samedis. Ces amourettes d’un soir semblaient la combler. Moi, je rentrais avec ce bonheur que j’accrochais à mon lit en me promettant une dernière nuit de langueur.

Dimanche était enfin là. Je me levais avant même d’avoir dormi, je m’apprêtais comme une promise bien qu’Yves me préférait sans artifices mais je voulais lui plaire, le surprendre et briller à ses yeux. Je me traçais finement les yeux au k’hol et avec un vieux bâton de rouge que m’avait offert Lili, je maquillais l’impatience trop flagrante de mes lèvres et mes joues déjà en feu. On se donnait rendez-vous sur la promenade en bas du square Bresson. Il prenait le Tram depuis Bab-el-Oued et moi je dévalais à pieds les centaines de marches qui nous séparaient. Je ne perdais pas de vue la mer durant ma course. Au-delà des ruelles timides et des avenues conquérantes, elle semblait ne briller que pour nous.


photographie@ Libres, enfin!

Notre amour était noyé sous des mètres cubes de sang innocent, enterré sous des strates d’histoire sale et chaque dimanche, nous nous débattions à l’exhumer jusqu'à plus de souffle….

4 Comments


Guest
Sep 09, 2024

De bonnes effluves littéraires, une écriture diluée et éthérée. L'ambiance d'une époque yéyé et insouciante, au sortir d'une ère troublée. Love it

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martinej29
Sep 07, 2024

Quelle vie de joie et de douleurs ! Elle sent bon le jasmin, la jeunesse et les sentiments des jeunes Algériennes de cette époque !

C’est ce que j’aime de ce pays et tu l’exprimes avec talent et sincérité ! Une jeunesse qui aurait pu se passer des colons, mais dont les souvenirs avant le grand fracas soulèvent des histoires presque identiques aux nôtres ! ♥️

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Guest
Sep 05, 2024

Dans la pénombre de la garçonnière

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Mohamed Chenine
Sep 05, 2024

"Son absence se sentait partout, comme un parfum distillé par je ne sais quel immense flacon laissé ouvert dans le ciel. son parfum était partout, entre les draps de mon lit, dans les vapeurs de mon café, dans la brise du soir et le murmure de la ville endormie. Mais c’était sur mon cou qu’elle était plus forte."

Époustouflant de beauté!

Magnifique description et quel parfum de poésie aussi de ce moment d'euphorie amoureuse(vie) en une époque agitée et menaçant de phagocyter tous les rêves(mort)

PS: tu peux me dire si cet extrait provient d'une oeuvre complète ?

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