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Photo du rédacteurAssia land

La forme éclatée de la mémoire

Dernière mise à jour : 15 sept. 2024


 ❝ Quelle que soit la direction vers où vous tournez la tête, là est la face de Dieu.❞ Coran (2, 11).

J’écris ce verset de mémoire. En l’écrivant, non seulement je rappelle vers ma conscience ces mots appris par cœur dans leur langue d’origine mais, en même temps, je les traduis délibérément dans ma langue d’écriture.

Car pour me le rappeler, je joins le geste à mon travail de mémoire, je tourne la tête dans tous les sens de cet espace propice à toutes les errances, qui est celui de l’écriture.

La parole me revient dans le sens opposé de l’écrit. Elle me vient par la droite quand je dois l’écrire par la gauche et le point de leur rencontre est le lieu de la collision plutôt que celui de la fusion.

Les débris de mots se superposent sur l’image que la parole rappelée fait apparaitre dans mon imaginaire. Je tente une énième lecture du Coran et je suis cet homme, Abraham ou Muhammad, perdu dans une nuit déserte. Je ne sais vers où je vais et je ne sais comment y arriver.


photographie @ la constellation de la quête

  À défaut de destinée, j’ai une intuition.

Et je tourne autour de moi-même, le regard fixé vers le ciel étoilé. Je suis en transe et je continue ma course vertigineuse sans jamais quitter mon point qui n’est le repère d’aucun lieu, d’aucun temps.

Et je relie un verset à un autre, puis à un autre, je trace des lignes, je dessine des cercles et plus je tourne autour, plus les versets se rapprochent et plus les lignes se raccourcissent jusqu’à leur effacement.

Dans ma course, mon regard aspire l’univers entier vers ce point de plus en plus lumineux qui en devient le centre. Et c’est vers ce point, le centre du Coran, que toute bonne lecture doit tendre. L’essentiel n’étant pas de l’atteindre. Il me suffit non pas de démontrer mais de faire croire qu’il existe.


Photographie@ Hubble space telescope , Pillars of Creation

À la question : « Dans quel sens se lit le Coran ? » Je ferai mien ce verset qui me vient pour la première fois dans le sens de mes pensées, je le déforme pour répondre : « Vers quel sens vous le lisez, ce sera le bon. »

Parce que l’écriture Coranique est encore en cours de déchiffrage, il me reste alors un travail d’intuition pour en saisir la forme qui montrera le sens de la juste lecture, car seule l’entreprise intuitive pourrait outrepasser toutes les impasses vers où mène son écriture fragmentaire. Les difficultés de cet écrit sont souvent le résultat d’un effet de rupture entre la force créatrice de la parole Coranique et son éparpillement dans l’espace textuel.


Photographie@ Hubble Space telescope, The wings of the dying star

Un éclatement qui le rend insaisissable… ou presque.

Le Coran nous sert entre autres récits, des récits bibliques narrés dans un style très différents des Écritures sacrées. Ils sont disséminés un peu partout dans le texte sans aucun ordre logique ou temporel. Cette forme si originale a été cependant conservée à dessein et a survécu à la tentation du genre prosaïque.

S’engager à lire ce texte à la manière d’une œuvre littéraire et esthétique reste donc un projet très ambitieux.

Car pour mieux saisir le texte il va falloir le manipuler dans le sens de ses lectures. En offrant à son lecteur des moments inachevés et des figures à peine dessinées, où le Logos (Parole divine) prend le dessus sur le Muthos (le discours du mythe), le Coran bouleverse l’ordre historique des évènements et les traits familiers des personnages fixés dans les Écritures saintes. Les personnages bibliques y sont dépourvus de leur épaisseur biographique qui les rendait si réels.

Plus de précision topographique, plus d’itinéraire de voyages, plus de généalogie scrupuleuse, les évènements perdent leur chronologie et les personnages ne sont plus que des éléments du Logos divin. Les récits Coraniques ne sont plus que des voyages initiatiques qui préparent l’Homme, tous les Hommes, à accepter leur solitude face à la conspiration diabolique qui cherche à détourner l’homme de sa destination finale, le Paradis.


Photography@ Hubble Space telescope, Carina Nebula , The mystic Mountain

Le Coran prend acte d’un temps nouveau et d’une métamorphose spirituelle inauguré par l’Hégire non pas celle de Muhammad mais bien celle de son ancêtre Abraham.

Institué dans le Coran comme le premier des musulmans, emblème de tous ceux qui cherchent la face de l’Un, Abraham arrive à la Mecque, Vallée sans végétation, en compagnie d’Hagar et d’Ismaël, le fils déshérité. Il y lève les fondations du Beit et de la nouvelle religion, la seule, la vraie, l’Islam, sceau de toutes les religions monothéistes.

En collectant tous les fragments relatifs à Abraham, se forme alors la Constellation d’Abraham, ou la métaphorisation par excellence. La manière magistrale avec laquelle le Coran échappe au temps génésiaque pour se forger une temporalité propre, hors l’Histoire, parcourt l’ordre perdu du fragmentaire pour se dissimuler dans celui qui scelle arbitrairement les sourates et égrène leur succession.

Ainsi va-t-il de toutes les grandes figures bibliques dans le Coran, elles ne sont pas là pour raconter leur propre histoire mais une autre.

  Laquelle?


Peinture@ Caravaggio , Saint Mathieu et l'ange

Et je ne peux m’interdire d’imaginer, même si cela pourrait heurter ma propre foi, un auteur qui laisse un peu partout des « signes pour ceux qui méditent».

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